L'université, un espace de régulation. L'« abandon » dans les 1ers cycles à l'aune de la socialisation universitaire

La recente multiplication de rapports ministeriels, d’essais et d’articles plus ou moins grand public, ainsi que de travaux scientifiques insistant sur l’existence de taux « catastrophiques » d’« abandon » dans les 1ers cycles universitaires invite au reexamen d’un certain nombre de questions concernant l’universite. Quels liens existe‑t‑il entre les transformations sociodemographiques du public de l’enseignement superieur et les pratiques de non‑ reinscription ou de reorientation qui marquent la scolarite d’un grand nombre d’etudiants ? A‑t‑on raison d’interpreter ces pratiques etudiantes comme le resultat d’« echecs » individuels ou de defaillances institutionnelles ? Ces pratiques presentent‑elles des variations en fonction des proprietes specifiques des filieres d’etudes frequentees ? Apres une analyse critique de ce qu’il est possible d’appeler le « paradigme de l’echec » et sur la base d’une enquete quantitative et qualitative approfondie realisee au sein de l’academie de Poitiers, l’« abandon » dans les premiers cycles est saisi comme le resultat d’un processus de regulation des aspirations etudiantes et plus generalement des flux successifs de nouveaux bacheliers, redistribuant les etudiants, selon leurs caracteristiques sociales et scolaires, dans les differents secteurs de l’enseignement superieur, et participant par ce biais au maintien des hierarchies sociales et universitaires. Ainsi reexamines, les taux de non-reinscription ne s’averent reductibles ni a une simple defaillance institutionnelle ni a la simple agregation de choix et d’« echecs » individuels. Il s’agit bien d’un « fait social », au sens de Durkheim, dont on peut saisir l’aspect differentiel via la notion de matrice disciplinaire.