L'organisation des services urbains : réseaux et stratégies dans les bidonvilles de Port-au-Prince

Consideres comme des anomalies temporaires dans les societes urbaines occidentales, les bidonvilles, ou les "etablissements urbains precaires" selon l'expression consacree, sont au contraire une realite incontournable et ancree profondement dans l'histoire urbaine de la planete. Ils abritent en 2005 le tiers de la population urbaine de la terre, et la moitie de la population urbaine du tiers-monde : un milliard d'habitants. Ils seront deux milliards a l'horizon 2025. Le bidonville est l'avenir de la ville du XXIe siecle, et les solutions qui furent mises de l'avant dans les villes occidentales pour en assurer la resorption durant le XIXe et le XXe siecle, sont inapplicables face a l'ampleur du phenomene, au rythme de croissance de ce type d'habitat et a la rarete des ressources mobilisables pour repondre aux besoins selon les criteres occidentaux. Plus souvent qu'autrement, les residents des bidonvilles sont laisses a eux-memes par un Etat impuissant ou indifferent, alors que les besoins pour des services de proximite sont intenses et multiples : soins de sante, education, approvisionnement en eau potable, evacuation des eaux usees, securite, solidarite sociale, lieux de rencontre, loisirs, etc. Bref, les bidonvillois sont d'abord et avant tout des urbains qui reclament des services et des amenagements pour leur garantir une certaine qualite de vie. Malgre l'absence de l'Etat, de tels services existent-ils dans les bidonvilles et si oui, comment apparaissent-ils? A partir de l'etude de plusieurs bidonvilles de l'agglomeration de Port-au-Prince (Haiti), l'auteur demontre que ces services existent bel et bien, qu'ils sont nombreux, efficaces et varies, et que leur mise en place repose sur les efforts des menages regroupes en reseau plus ou moins institutionnalise : reseau familial et reseau de voisinage, reseau religieux, reseau associatif et reseau politique. Les logiques selon lesquelles les services se deploient dans l'espace urbain sont elles aussi multiples : solidarite, marchandage, clientelisme, recrutement de fideles, systeme parallele de taxation. Au-dela d'un simple reflexe suppletif face a un Etat absent, le developpement des services de proximite dans les bidonvilles apparait etre une structuration de l'organisation sociale, une re-creation de l'Etat "par le bas", le tout en fonction d'un horizon lointain qui couvre souvent plusieurs generations. Les realisations physiques et sociales des bidonvilles sont impressionnantes et temoignent de la volonte des bidonvillois de s'ancrer dans leur territoire et de "bâtir la cite", au sens propre comme au sens figure. Tout n'y est pas rose evidement : la pauvrete y est presente, la maladie y fait des ravages et la mort y rode en permanence. Mais les bidonvillois offrent des pistes de solutions originales, endogenes et etonnantes, qui contribuent a ameliorer leur milieu de vie en le rendant un peu plus confortable et securitaire. Et c'est justement le caractere endogene des solutions qui s'impose comme une remise en question profonde des approches traditionnelles de l'aide au developpement et de visions occidentales de ce qu'est "la vraie ville". En conclusion, les solutions aux problemes des bidonvilles viennent souvent des bidonvilles eux-memes mais les limites de ce developpement endogene mettent aussi en evidence la necessite d'une structure d'intervention plus globale : l'Etat. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLES DE L’AUTEUR : Bidonville, Services urbains, Reseaux, Haiti, Pauvrete urbaine