ARGUMENTER, DEMONTRER, EXPLIQUER CONTINUITE OU RUPTURE COGNITIVE?

L'existence d'un mode de raisonnement naturel, qui ne se laisse ni decrire ni evaluer selon les criteres logiques canoniques, est maintenant generalement admise. A la suite de Perelman (1958) et de Toulmin (1958) on le designe par le tenne d'argumentation. Mais deja, des travaux anterieurs, ceux de Wittgenstein et de l'ecole d'Oxford, qui montraient la specificite du langage ordinaire tel qu'il fonctionne dans la conversation, avaient contribue a imposer l'existence d'un mode propre de raisonnement irreductible aux schemas propositionnels ou au calcul des predicats developpes dans la logique mathematique. Depuis, les analyses pragmatiques developpees par O. Ducrot (1973) et, dans un tout autre contexte, les recherches de J.B. Grize sur la logique naturelle (1983) ont pennis de mieux voir l'importance fondamentale de ce mode de raisonnement. La prise en compte, dans l'enseignement des mathematiques, de ce mode naturel de raisonnement qu'est l'argumentation est relativement recente. D'une part, il a fallu se debarrasser de cet interdit paradoxal jete, dans les annees 1970, sur le langage des qu'il etait question d'activite mathematique et d'apprentissage des mathematiques. Interdit qui s'accompagnait de l'inflation verbale d'un nouveau vocabulaire! La redecouverte de la premiere problematique de Piaget centree sur le langage des enfants dans leurs conversations et dans leurs explications (1930, 1967a), par dela sa seconde problematique cristallisee dans la theorie operatoire de l'intelligence et alors recue comme une bible (1955,1967b), a accompagne le rejet de cet interdit. D'autre part, il a fallu la resistance des faits dans les classes. Quoi qu'on fasse, on n'arrivait pas a ce que la demonstration fonctionne comme une preuve pour la plupart des eleves. Ce qui peut etre tres vite genant pour enseigner la geometrie, meme au College. Un autre facteur a egalement beaucoup joue pour cette prise en compte de l'argumentation: l'extension, dans les classes, du travail en groupe, et la mise en oeuvre d'une organisation du travail visant a favoriser les interactions entre les eleves eux-memes et non plus seulement l'interaction enseignant-eleves.