L'Homme de Parole

"Moins comme un long bavardage que comme un recit de reve d'une ampleur demesuree, tel m'apparalt l'ensemble de mes ecrits. . .".; cette confidence, murmuree comme en passant, avec un sourire desabuse que l'on croit voir s'esquisser au coin des levres, suffirait 'a m'interdire toute glose, necessairement seconde, sinon bavarde, sur ces ecrits en effet si longs, quoique pas plus, somme toute que la Recherche du temps perdu 'a quoi ils s'apparentent par bien des traits, si, par un ricochet imprevisible, ne m'etait revenue la phrase placee en tete des recits de reve intitules Nuits sans nuit (et quelquesjours sans jour), phrase qui ouvre l'Aurelia de Gerard de Nerval: "Le reve est une seconde vie." D'ordinaire, ces deux vies sont strictement separees, et Nerval decrit bien l'effroi qui le saisit 'a chaque fois qu'il lui arrive de franchir "ces portes d'ivoire ou de corne qui nous separent du monde invisible" (l'ivoire evoque d'abord la tour d'ivoire, image consacree pour la solitude poetique, mais convient aussi bien au monde "propre"-idios, dit Heraclite -du reve, comme, par sa paleur jaunie, il est deja' couleur de mort, au reste obtenu par la tuerie, le plus souvent illegale, de ces nobles pachydermes aux somptueuses defenses). Mais Aurelia-et toute la folie de Nerval-est comme un long recit de reve, oui les limites entre les deux mondes se sont effacees, parce que le reve, comme un fleuve qui sort de son lit ou une porte de ses gonds, a deborde et inonde "la vie reelle,"2 de sorte