La postposition du sujet nominal : paramètres linguistiques et effets stylistiques

Je m'interesserai ici a la postposition du sujet nominal dans les enonces assertifs, dite « postposition nominale simple » — par opposition a la « postposition pronominale » (simple ou complexe), que l'on rencontre dans les enonces interrogatifs (interrogation totale), exclamatifs, hypothetiques ou a adverbial modal initial modulant l'assertion. Alors que la postposition pronominale est reputee contrainte par le systeme de la langue — on parle ici d'une « inversion grammaticale » —, la postposition nominale est au contraire consideree comme libre : l'ordre V S est vu comme une « variante » de l'ordre S V — variante stylistiquement marquee, d'ou l'appellation courante d'« inversion stylistique ». Je contesterai les trois idees qui sous-tendent la notion de ‘variante stylistique' : celles de variation libre, de construction derivee et d'ordre marque. Des lors, en quels termes peut-on rendre compte des cas de sujets nominaux postposes rencontres a la lecture des textes ? Plus precisement, comment articuler le systeme de la langue (avec les contraintes plus ou moins fortes qu'il impose) et les effets stylistiques (avec les marges de jeu qu'ils impliquent) ? Selo certains auteurs, le systeme de la langue viendrait en quelque sorte delimiter de l'exterieur la « zone reservee » aux effets stylistiques, c'est-a-dire celle qui ne serait pas affectee par des contraintes d'ordre syntaxico-semantique, et ou l'ordre des elements resterait donc libre. C'est un point de vue different que je voudrais defendre ici, a savoir l'idee que le choix de l'ordre X V S (meme si l'ordre inverse est attestable) correspond toujours a un mode specifique de construction de l'enonce, qui engage un ensemble de regularites de langue, et qui met en jeu certaines operations sous-jacentes ; et que c'est precisement dans ces operations que s'enracine la diversite des effets stylistiques possibles. La structuration des enonces prototypiques en X V S est la suivante : X participe du noyau predicatif, il constitue le repere permettant de situer S (repere) par l'intermediaire d'un V desemantise (cad. reduit au fonctionnement d'un simple relateur ) ; en consequence, X occupe la position d'un element thematisable, cependant que V-S participe du domaine de rhematisation possible . Dans les enonces prototypiques en X S V au contraire, X est prefixe au noyau predicatif et constitue un cadre exterieur a la relation entre un S thematisable (generalement source agentive) et un V rhematisable (generalement processus) — d'ou la presence d'une virgule apres X. Selon que le sujet nominal se trouve antepose ou postpose au verbe, les operations en jeu autorisent des modes d'enchainements discursifs differents et sont sources d'effets stylistiques divers. C'est en prenant appui de facon repetee sur un usage prototypique des ressources de la langue (dont les inversions locatives constituent un exemple particulier) qu'un auteur comme Robbe-Grillet construit les effets stylistiques les plus adaptes a l'expression de son esthetique romanesque : ceux-ci correspondent a un « marquage par confirmation ». A l'inverse de Robbe-Grillet, certains auteurs recourent au contraire a des enonces X V S non prototypiques, pratiquant ainsi plutot un « marquage par distorsion » . La diversite des effets stylistiques induits par la postposition du sujet nominal ne vient donc pas occuper une marge de liberte qui se definirait par une absence de contraintes de langue ; elle s'inscrit au contraire dans le champ meme des regularites du systeme et temoigne, de la part des auteurs, d'une maitrise des interactions entre les differents parametres en jeu dans la construction d'un enonce (prototypique ou non) en X V S, par difference avec un enonce en X S V.