La formation de l'esprit scientifique : contribution à une psychanalyse de la connaissance objective

Ce livre se propose de montrer le destin de la pensee scientifique abstraite. Pour cela, il s’agira de prouver que pensee abstraite n'est pas synonyme de mauvaise conscience scientifique, comme semble l'impliquer l'accusation banale. Il faudra prouver que l'abstraction debarrasse l'esprit, qu'elle allege l'esprit, qu'elle le dynamise. Ces preuves seront fournies en etudiant plus particulierement les difficultes des abstractions correctes, en marquant l'insuffisance des premieres ebauches, la lourdeur des premiers schemas, en soulignant aussi le caractere discursif de la coherence abstraite et essentielle qui ne peut pas aller au but d'un seul trait. Et pour mieux montrer que la demarche de l'abstraction n'est pas uniforme, l’ouvrage emploie parfois un ton polemique en insistant sur le caractere d'obstacle presente par l'experience soi-disant concrete et reelle, soi-disant naturelle et immediate. Pour bien decrire le trajet qui va de la perception reputee exacte a l'abstraction heureusement inspiree par les objections de la raison, de nombreux rameaux de l'evolution scientifique sont etudies. En vue d'une clarte de premier aspect, trois grandes periodes sont distinguees : – la premiere periode representant l'etat prescientifique comprendrait a la fois l'antiquite classique et les siecles de renaissance et d'efforts nouveaux avec le XVIe, le XVIIe et meme le XVIIIe siecles; – la deuxieme periode representant l'etat scientifique, en preparation a la fin du XVIIIe siecle, s'etendrait sur tout le XIXe siecle et sur le debut du XXe; – en troisieme lieu, l'ere du nouvel esprit scientifique est fixee tres precisement en 1905, au moment ou la Relativite einsteinienne vient deformer des concepts primordiaux que l'on croyait a jamais immobiles. A partir de cette date, la raison multiplie ses objections, elle dissocie et reapparente les notions fondamentales, elle essaie les abstractions les plus audacieuses. Des pensees, dont une seule suffirait a illustrer un siecle, apparaissent en vingt-cinq ans, signes d'une maturite spirituelle etonnante. Telles sont la mecanique quantique, la mecanique ondulatoire de Louis de Broglie, la physique des matrices de Heisenberg, la mecanique de Dirac, les mecaniques abstraites et bientot sans doute les Physiques abstraites qui ordonneront toutes les possibilites de l'experience. Mais Bachelard ne s’astreint pas a inscrire ses remarques particulieres dans ce triptyque qui ne permettrait pas de dessiner avec assez de precision les details de l'evolution psychologique que l’on veut ici caracteriser. Les forces psychiques en action dans la connaissance scientifique sont plus confuses qu'on ne l'imagine quand on les mesure du dehors, dans les livres ou elles attendent le lecteur. Puisque tout savoir scientifique doit etre a tout moment reconstruit, les demonstrations epistemologiques auront tout a gagner a se developper au niveau des problemes particuliers, sans souci de garder l'ordre historique. Partant des images de la phenomenologie premiere, l’auteur montre comment se substituent a ces images les formes geometriques adequates. Cette geometrisation s'offre longtemps comme une conquete definitive et constitue le solide esprit scientifique tel qu'il apparait au XIXe siecle. Mais il faudra pourtant prouver que cette geometrisation est un stade intermediaire. Ce developpement suivi au niveau de questions particulieres ne sera clair que si l'on peut parler d'une sorte de loi des trois etats pour l'esprit scientifique. Dans sa formation individuelle, un esprit scientifique passerait donc necessairement par les trois etats suivants, beaucoup plus precis et particuliers que les formes comtiennes : 1o l'etat concret ou l'esprit s'amuse des premieres images du phenomene et s'appuie sur une litterature philosophique glorifiant la Nature, l'unite du monde et sa riche diversite; 2o l'etat concret-abstrait ou l'esprit adjoint a l'experience physique des schemas geometriques et s'appuie sur une philosophie de la simplicite. L'esprit est encore dans une situation paradoxale : il est d'autant plus sur de son abstraction que cette abstraction est plus clairement representee par une intuition sensible; 3o L'etat abstrait ou l'esprit entreprend des informations volontairement soustraites a l'intuition de l'espace reel, volontairement detachees de l'experience immediate et meme en polemique ouverte avec la realite premiere, toujours impure, toujours informe. – Chapitre I. La notion d'obstacle epistemologique. Plan de l'ouvrage; – Chap. II. Le premier obstacle: l'experience premiere; – Chap. III. La connaissance generale comme obstacle a la connaissance scientifique; – Chap. IV. Un exemple d'obstacle verbal : l'eponge. Extension abusive des images familieres; – Chap. V. La connaissance unitaire et Pragmatique comme obstacle a la connaissance scientifique; – Chap. VI. L'obstacle substantialiste; – Chap. VII. Psychanalyse du Realiste; – Chap. VIII. L'obstacle animiste; – Chap. IX. Le mythe de la digestion; – Chap. X. Libido et connaissance objective; – Chap. XI. Les obstacles de la connaissance quantitative; – Chap. XII. Objectivite scientifique et Psychanalyse. M.-M. V.