Arabisation et langues maternelles dans le contexte national au Maghreb
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Language is not only a means of communication, but also a support for legitimacy. In the multilingual context ofthe Maghreb, several legitimacies have been connected with different languages. The legitimacy ofchange and access to modernity has been associated with the French language. The policy of Arabization is an attempt to transfer this legitimacy to Arabic, the national language. In fact, modernity is essentially assumed by the dialects which are the genuine mother tongues in the Maghreb. Le probleme que veut poser ce texte est celui de la modernite au Maghreb et du role que joue la langue dans sä resolution. L'hypothese qu'il propose est que, dans le contexte actuel, apres une tentative des Etats d'y jouer un röle determinant par le biais de l'arabisation, l'entree dans la modernite et sä legitimation s'y realisent principalement dans le cadre des langues maternelles, et que celles-ci sont le lieu ou se realisent les transformations culturelles les plus radicales. Pour aborder cette question et la traiter, trois etapes seront necessaires. La premiere consistera a etablir les relations entre modernite, loi et langue d'une fagon generale et dans le contexte du Maghreb. La seconde sera un bref rappel des tentatives effectuees dans le cadre des politiques d'arabisation, leur signification et leur aboutissement. La troisieme sera une reflexion plus specifique sur les langues maternelles et leur position par rapport ä l'assomption de la modernite dans le contexte maghrebin. L'approche adoptee ici correspond ä une anthropologie de la langue. Au delä de la consideration de la langue comme moyen de communication ou comme marqueur social, eile tente d'y prendre en compte ce que les linguistes ont designe comme 'expression' plus precisement ce point ou la langue, par le cadre qu'elle impose, agit comme transmetteur de la loi en son sens radical: celle qui signifie aux individus leurs limites et par lä leur circonscrit un espace d'existence, dont la notion d'identite rend 0165-2516/91/0087-0045 $2.00 Int'l. J. Soc. Lang. 87 (1991), pp. 45-54 © Walter de Gruyter 46 G. Grandguillaume compte d'une fagon approximative. Cette fonction de la langue comme loi — dite symbolique — n'est pas donnee une fois pour toutes, mais agit en permanence en un proces dynamique. C'est de cette loi qu'il est question ici: differente du politique, eile le concerne comme son soubassement. L'analyse ici presentee ne porte pas sur la pratique du pouvoir politique, mais sur les points ou la langue, sous son aspect de loi, articule les structures culturelles profondes de la societe. Langue, loi et modernite La modernite peut faire probleme dans la mesure ou eile signifie l'introduction dans un contexte traditionnellement islamique de valeurs issues d'une autre culture, ä reference chretienne. La modernite en question ici n'est donc pas celle de la technique, dont l'adoption ne fait generalement pas probleme, mais celle qui concerne la transformation des valeurs et des normes. Le probleme n'est pas recent au Maghreb, mais il n'y est toujours pas resolu ni depasse. La modernite, en tant qu'elle concerne un changement de valeurs, pose le probleme de la legitimite du changement. A-t-on le droit de changer de valeurs, et qui peut en decider? La langue comme loi est impliquee dans ce probleme crucial qu'est pour le Maghreb celui du jugement normatif ä porter sur le changement, Situation d'ecartelement entre des valeurs senties comme traditionnelles (et generalement qualifiees d'islamiques) et des valeurs nouvelles qu'une forte pression internationale (economique, ideologique, mediatique) tend ä imposer. La modernite au Maghreb La presence au Maghreb de valeurs etrangeres ä la tradition islamique, presence susceptible d'induire des changements, n'est pas recente. Elle date du debut de la colonisation, plus ancienne pour l'Algerie (1830), plus recente pour la Tunisie (1881) et le Maroc (1912). Le point ä souligner ici, c'est que cette modernite a ete imposee sous differentes formes, en particulier sous celle de l'introduction de la langue fran^aise dans le contexte linguistique. Devant cette Offre de modernite', la communaute a pu adopter des attitudes diverses, laissant une marge de choix assez large. Le seul jugement radical sur lequel eile s'est montree unanime a ete la condamnation du passage total ä l'autre culture, symbolise par la conversion au christianisme et par l'adoption de la nationalite frangaise, Arabisation et langues maternelles 47 ce double passage etant designe pejorativement dans la langue populaire, tant arabe que berbere, par le terme de mturni 'quelqu'un qui s'est "retourne"'. La consequence importante de cette imposition de la modernite au Maghreb, dans le cadre de la colonisation, est que cette modernite n'a pas eu a etre assumee, n'a pas fait l'objet d'un choix. Bien plus cette Situation d'imposition a pu permettre de beneficier de ses avantages — sous la forme par exemple d'une certaine liberalisation des moeurs — sans avoir ä en assumer le choix ni la responsabilite. Cette attitude s'est en effet coulee dans le moule du caractere provisoire de la Situation, caractere provisoire permettant de ne rien decider. De meme que, pour les emigres ä Petranger, le mythe du retour a permis de s'installer sans complexe ni culpabilite hors du pays natal, en faisant comme si on etait destine ä y revenir, de meme la consideration du caractere transitoire de la colonisation a permis de se frotter a une autre culture sans la crainte de s'y perdre gräce ä Pillusion du provisoire. La Situation d'independance aurait pu marquer, avec la fin du provisoire, l'heure du choix, de la responsabilite par rapport ä ce qui devait etre conserve de la culture propre et ce qui pouvait etre retenu de l'autre culture. A ce moment en effet cessait juridiquement la Situation d'imposition, et la societe, par ses nouvelles autorites legitimes, recouvrait en principe l'entiere liberte du choix. Mais le seul fait pour les Etats du Maghreb d'etre independants ne les laissait pas seuls libres de decider de la loi, de modifier les normes, d'autoriser le changement, alors meme que, par leur structure et leur logique, ils avaient pour mission propre de developper leurs societes et de les faire entrer toujours plus dans la modernite. Cette legitimite devait aussi etre accordee ä l'origine et en assurer la transmission. C'est ici qu'intervient la fonction de la langue dans son essence la plus profonde.